Rencontre avec Marie Jauffret-Roustide sur l’impact de la Covid-19 et des mesures barrières sur la santé mentale des jeunes adultes

Rencontre avec Marie Jauffret-Roustide sur l’impact de la Covid-19 et des mesures barrières sur la santé mentale des jeunes adultes.

Publié le 22 octobre 2021

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Marie Jauffret-Roustide est sociologue et chargée de recherche à l’Inserm. A la suite du point presse autour de l’impact des épidémies sur la santé mentale des populations qui a eu lieu le 14 octobre 2021, elle a accepté de répondre à nos questions sur l’impact de la Covid-19 et des mesures barrières sur la santé mentale des jeunes adultes.


Bonjour Marie Jauffret-Roustide, pouvez-vous vous présenter ?


Je suis chargée de recherche à l’Inserm, rattachée au Centre d’Etude des Mouvements Sociaux (EHESS/CNRS UMR8044/Inserm U1276). Je coordonne un programme de recherche sur les politiques de réduction des risques en lien avec l’usage de drogues en France et en Amérique du Nord. J’ai un lien très fort avec l’ANRS qui remonte à 1996, car ma thèse de doctorat en sociologie a été financée par l’agence. Tout au long de ma trajectoire de chercheuse, j’ai pu bénéficier du soutien scientifique et financier de l’ANRS. J’ai eu la chance de participer à des groupes de travail en santé publique ou sur la recherche communautaire qui ont été très formateurs pour moi et qui m’ont permis de rencontrer des chercheurs et chercheuses inspirants et avec lesquels j’ai pu développer des collaborations. L’ANRS a soutenu ces 25 dernières années plusieurs de mes projets de recherche tels que l’enquête ANRS Coquelicot sur l’exposition au risque VIH et hépatites chez les usagers de drogues menée depuis 1998, soutenue à quatre reprises, ou encore un essai d’intervention communautaire auprès d’usagers de crack ayant permis de mettre au point un outil (kit crack) permettant de réduire la transmission de l’hépatite C. Je me sens appartenir à la communauté des chercheurs de l’ANRS et je suis ravie de pouvoir poursuivre aujourd’hui cette collaboration au sein du groupe « Politiques mises en œuvre face à l’épidémie et leurs effets en population » de l’AC SHS Covid-19.


Pourquoi avoir choisi d’étudier l’impact de la Covid-19 et des mesures barrières sur la santé mentale des jeunes adultes ?


Le projet FOCUS (Observatoire France-Canada sur la Covid-19, la santé mentale et le bien-être social des jeunes) est né d’une rencontre avec Rod Knight et Pierre-Julien Coulaud de l’université de British Columbia à Vancouver et du souhait de développer une collaboration transatlantique. Nous avons eu envie de nous lancer sur de nouveaux sujets, toujours en lien avec l’expérience que les personnes ont du risque infectieux, à partir d’une méthodologie mixte. Au début de la pandémie de Covid-19, les jeunes adultes (18-29 ans) étaient les « oubliés » de la pandémie, car ils étaient moins à risque de développer des formes graves que les publics plus âgés. Nous avions envie de travailler avec eux, car l’impact de la Covid-19 sur la sociabilité, la santé mentale et le bien-être des jeunes nous semblait important à documenter.


Notre étude a montré l’importance des troubles de santé mentale : près d’un jeune sur deux déclarait un état dépressif modéré à sévère et les trois quart un sentiment de solitude.


En quoi les idées préconçues ont-elles impacté le diagnostic et la prise en charge en santé mentale des jeunes adultes pendant la crise sanitaire ?


Après avoir été invisibilisés lors des premiers mois de la pandémie, les jeunes adultes ont ensuite été l’objet d’une forte stigmatisation sociale, véhiculée par certains médias durant l’été 2020. Ils ont été alors décrits comme irresponsables, ne respectant pas les gestes barrières en se regroupant lors de fêtes, et rendus coupables de la deuxième vague de la pandémie. Les données que nous avons collectées lors de la première enquête en ligne (d’octobre à décembre 2020) ont mis en évidence que la très grande majorité des jeunes étaient respectueux des gestes barrières et soucieux de protéger leurs aînés. Notre étude a également montré l’importance des troubles de santé mentale : près d’un jeune sur deux déclarait un état dépressif modéré à sévère et les trois quart un sentiment de solitude.


En quoi votre travail de recherche a-t-il permis de démontrer que la pandémie de Covid-19 avait été révélatrice d’inégalités sociales préexistantes ?


Notre étude a mis en évidence que les jeunes en situation de vulnérabilité, tels que ceux qui n’avaient pas d’emploi, qui appartenaient aux minorités sexuelles, ou qui étaient victimes de discriminations étaient plus impactés par la Covid-19 que les autres. Elle a également montré que 25 % des jeunes auraient souhaité accéder à des services de soins en santé mentale en France, mais que 75 % n’avaient pas pu y avoir accès.


Comment expliquer le nombre important de personnes qui peinent à accéder à une prise en charge en France ?


Les jeunes adultes en France ont eu plus de difficultés à accéder à une prise en charge qu’au Canada pour plusieurs raisons. La France fait face à une crise du système de prise en charge de la santé mentale, avec un manque de psychiatres, ce qui a donné lieu à des assises de la santé mentale récemment. Il nous semble également plus difficile d’exprimer une souffrance psychique en France, en lien avec la stigmatisation des personnes confrontées à des troubles de santé mentale. La parole semble plus libre au Canada à la fois sur les questions de diversité et d’inclusion. Nous allons approfondir cette question dans le volet qualitatif de FOCUS et lors de la deuxième enquête en ligne qui est lancée.


Pour participer à l’étude :

https://focus-covid19.med.ubc.ca/the-focus-survey-french/

Pour en savoir plus sur l’étude :  

https://esprit.presse.fr/article/marie-jauffret-roustide-et-pierre-julien-coulaud-et-julie-jesson-et-estelle-filipe-et-naseeb-bolduc-et-rod-knight/les-oublies-de-la-pandemie-43389

Contact presse :

Département de communication et d’information scientifique de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes : 

information@anrs.fr