Rencontre avec le Pr Fabrice Bonnet sur la question de la santé mentale des personnes vivant avec le VIH

Rencontre avec le Pr Fabrice Bonnet sur la question de la santé mentale des personnes vivant avec le VIH

Publié le 20 octobre 2021

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Fabrice Bonnet est clinicien, interniste et infectiologue à l’hôpital Saint-André du CHU de Bordeaux. Il est également rattaché à l’équipe Inserm U1219 de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement à l’université de Bordeaux. A la suite du point presse autour de l’impact des épidémies sur la santé mentale des populations, il a accepté de répondre à nos questions sur la santé mentale des personnes vivant avec le VIH (PVVIH).


Bonjour Fabrice Bonnet, pouvez-vous vous présenter ?


Je suis clinicien, interniste et infectiologue à l’hôpital Saint-André du CHU de Bordeaux et rattaché à l’équipe Inserm U1219 de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement à l’université de Bordeaux. Je coordonne divers projets de recherche clinique, en particulier autour de l’infection par le VIH et des comorbidités associées, de la Covid-19 et de la tuberculose, en France ainsi que sur le continent africain. Je suis l’investigateur principal de la cohorte ANRS CO3 Aquitaine et de sa sous-étude baptisée QualiV, qui évalue la qualité de vie et la santé mentale des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) en Nouvelle-Aquitaine. Je suis également membre de l’AC44 « Recherche clinique », du groupe « Tuberculose/VIH » et du Comité RIPH 2/3 de l’infection Covid-19 de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes.


Pouvez-vous nous expliquer en quoi les problématiques de santé mentale ont un impact dans la prise en charge des PVVIH ?


Le concept de santé mentale est large et se définit par un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. La santé mentale est souvent explorée dans les études médicales par le prisme de l’existence de symptômes d’anxiété, de dépression ou de psychose.

Ces symptômes sont relevés depuis longtemps dans la pathologie VIH, mais les dernières données françaises remontent déjà à plus de 10 ans : l’étude ANRS-VESPA2 retrouvait en 2011 une prévalence du syndrome dépressif de 28,1 % en globalité (questionnaire CIDI-SF).

Dans l’étude QualiV de la cohorte ANRS CO3 Aquitaine menée entre septembre 2018 et mars 2020, à travers des questionnaires principalement dématérialisés via notre système d’information ARPEGE et portant sur 965 personnes, nous avons mis en évidence que la prévalence des symptômes dépressifs explorés par le questionnaire Patient Health Questionnaire depression scale (PHQ8) était de 20,8 % chez les hommes et 22,5 % chez les femmes, soit un taux environ 5 fois plus important chez les hommes et 3 fois plus important chez les femmes que dans la population générale. 

Cette étude n’a pris en compte que les symptômes dépressifs, sous-estimant la prévalence des maladies mentales dans leur ensemble.

Il est reconnu que la présence de ces troubles est associée à une moins bonne adhésion aux soins et au traitement, au risque de suicide, à la survenue de troubles cognitifs et à une altération de la qualité de vie.

Ces troubles sont très certainement mal diagnostiqués, car il n’existe pas de marqueurs simples de dépistage. Leur prise en charge est complexe et prolongée, ce qui nécessite d’établir ou d’améliorer des circuits spécifiques de prise en charge.


Comment sont perçues les PVVIH ?


Lorsque nous analysons plus précisément les résultats ci-dessus, il ressort que le principal facteur associé à la présence de symptômes dépressifs est le ressenti de stigmatisation présent chez 31 % des hommes et 39 % des femmes.

Ces résultats ne font que confirmer les constatations des cliniciens, qui perçoivent lors des consultations ce ressenti de la part des hommes et des femmes vivant avec le VIH. Cela peut s’exprimer de façon différente : dissimulation de sa situation personnelle, y compris en situation de soins, difficultés dans les contacts professionnels et amoureux pouvant amener au sentiment de dépréciation et d’isolement.


Quel impact le regard des gens a-t-il sur les PVVIH ?


Comme chez toutes personnes, le regard des tiers est important dans le vécu d’une situation et d’autant plus chez les personnes en situation de vulnérabilité.

Une seule situation lors de laquelle une personne se sent discriminée peut avoir des conséquences pendant des années.

 


(…) les problématiques de santé mentale restent une préoccupation essentielle à considérer dans la prise en charge des PVVIH. Et 40 ans après le début de l’épidémie, force est de constater que le sentiment de stigmatisation reste omniprésent chez les PVVIH et impacte notablement leur santé mentale et leur qualité de vie liée à la santé.   


Est-ce qu’en 40 ans l’épidémie a contribué à faire avancer les mentalités sur la santé mentale en France ?


L’histoire de l’épidémie a été marquée par des périodes différentes. Pendant les 15 premières années de l’épidémie et jusqu’à la mise en place des combinaisons thérapeutiques efficaces, la santé mentale était directement impactée par la sentence de mort qui accompagnait le diagnostic d’infection par le VIH.

Les années suivantes – pendant lesquelles la survie a progressé – ont vu parallèlement émerger les problématiques iatrogènes et en particulier la lipodystrophie qui a également impactée de façon majeure la santé mentale et la qualité de vie des PVVIH. Cela ne fait qu’une dizaine années, depuis que l’infection VIH est devenue une maladie chronique – car contrôlée grâce à des traitements efficaces et bien tolérés – et que la santé mentale est explorée pour elle-même (étude ANRS-VESPA2 en 2011). La mise en place du traitement antirétroviral universel en 2013 , quel que soit le stade ou le niveau de CD4,  puis des objectifs de l’Onusida 90/90/90 en 2014 et 95/95/95 en 2020, centrés sur le contrôle de la charge virale, a amené des auteurs à proposer un 4e objectif 90 portant sur le fait d’avoir également 90 % des patients ayant une bonne qualité de vie incluant donc la santé mentale.

A la vue des résultats énoncés ci-dessus, et même si le spectre de l’épidémie n’a plus rien à voir avec ce qu’il a été, les problématiques de santé mentale restent une préoccupation essentielle à considérer dans la prise en charge des PVVIH. Et 40 ans après le début de l’épidémie, force est de constater que le sentiment de stigmatisation reste omniprésent chez les PVVIH et impacte notablement leur santé mentale et leur qualité de vie liée à la santé.

En lien avec les COREVIH et les associations de patients, les actions visant à lutter contre la stigmatisation et à améliorer la santé mentale doivent être poursuivies avec énergie.


Contact presse :

Département de communication et d’information scientifique de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes : 

information@anrs.fr