CROI 2022 : les trois points à retenir en matière de rémission et de guérison du VIH avec Michaela Müller-Trutwin

Michaela Müller-Trutwin est responsable de l’unité « VIH, inflammation et persistance » à l’Institut Pasteur. Le 14 février 2022, elle a présenté une conférence intitulée « HIV Nonhuman primate models for studies of virus pathogenesis, persistence, and cure » lors d’une session plénière de la CROI. Voici les trois points qu’elle retient de cette édition de la CROI en matière de rémission et de guérison du VIH.

Publié le 24 février 2022

Un nouvel exemple de guérison : la patiente de New York

L’une des présentations qui ont fait le plus de bruit à la CROI est le cas de la 3e patiente guérie du VIH après une transplantation de moelle osseuse pour traiter sa leucémie myéloïde aiguë. « Après le patient de Berlin et le patient de Londres, le cas de cette patiente donne de nouvelles informations pour comprendre les mécanismes qui permettent l’éradication du virus », indique Michaela Müller-Trutwin.

La patiente a pu bénéficier d’une greffe de moelle osseuse portant la mutation homozygote delta 32 du récepteur CCR5. Cette mutation empêche le VIH de pénétrer dans les cellules et rend donc les personnes qui en sont porteuses naturellement résistantes à l’infection. Elle est plus fréquente chez les Européens, en particulier du Nord, que dans le reste de la population mondiale. Or, la patiente, étant d’origine métissée, avait peu de chance de trouver un donneur compatible possédant la mutation delta 32. Les médecins ont alors utilisé une technique innovante : ils ont procédé à une greffe de moelle osseuse provenant à la fois d’un membre de sa famille compatible et à la fois de sang de cordon porteur de la mutation homozygote delta 32.

Trois mois après la transplantation, ils ont constaté que la greffe des cellules de cordon a bien pris et que les autres cellules ont été éliminées. 37 mois plus tard, la patiente a pu arrêter son traitement antirétroviral et il n’y a pas eu de rebond viral. Elle ne prend plus de traitement et est sous contrôle depuis 14 mois. Après avoir analysé 75 millions de ses cellules, les chercheurs n’ont pas trouvé d’ADN viral.

Pour Michaela Müller-Trutwin, « ce qui est intéressant, c’est qu’il semble que le point crucial dans le cas présent est de posséder la mutation delta 32 à l’état homozygote. En effet, la patiente ne semble pas avoir une meilleure réponse immunitaire, elle n’a pas fait de rejet de greffe, n’a pas développé de réponses T et a perdu ses anticorps. » Les chercheurs se sont non seulement aperçus que la patiente avait une résistance aux virus nécessitant le récepteur CCR5 fonctionnel, mais aussi à ceux qui utilisent le récepteur CXCR4. « C’est une surprise encore inexpliquée. Selon moi, cela indique que le donneur du sang de cordon avait d’autres facteurs de résistance à l’infection au VIH, en plus de la mutation delta 32 » estime-t-elle. Cette méthode de transplantation donne un espoir aux quelques très rares personnes qui vivent avec le VIH, qui ont une leucémie mortelle et qui sont d’origine non européenne. Il est important à constater que ce n’est en aucun cas un modèle de thérapie de guérison du VIH, les greffes de moelle osseuse sont extrêmement dangereuses : les médecins n’y ont recours que pour traiter les cancers mortels. Mais cela permet de mieux comprendre ce qui est nécessaire à la guérison. »

Immunothérapies et thérapies géniques

De nombreuses présentations portaient sur des essais de rémission ayant recours en particulier aux immunothérapies ou aux thérapies géniques, avec par exemple la présentation des résultats de travaux sur l’amélioration de la réponse des lymphocytes T CD8 afin qu’elles reconnaissent mieux les cellules infectées par le VIH. C’est le cas, par exemple, du travail financé par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes de Federico Perdomo-Celis (Institut Pasteur). Il a montré que la reprogrammation des lymphocytes T CD8 de patients ayant le VIH, grâce à un inhibiteur, leur confère une augmentation de leur capacité antivirale comparable à celles des patients contrôleurs du VIH. « Si ces travaux sont réalisés in vitro pour l’instant, c’est une preuve de concept », se réjouit Michaela Müller-Truwin.

Par ailleurs, une session a été consacrée aux CAR, les cellules génétiquement modifiées in vitro pour porter un récepteur chimérique, avec des présentations sur le développement de cellules T-CAR pour éradiquer ou contrôler le VIH, sur la stimulation de CAR via des vaccins à ARNm et des nouveautés sur le développement de CAR-NK dans le traitement de lymphomes.

D’ailleurs, plusieurs autres travaux ont porté sur les cellules tueuses naturelles (natural killer ou NK). « J’ai présenté des données qui montrent que, dans le modèle animal, les cellules NK sont capables de contrôler en phase chronique des réservoirs tissulaires, ainsi que le nouveau concept selon lequel l’amélioration de la maturation des cellules NK permet l’induction de NK adaptatives capables de réduire les réservoirs ganglionnaires, d’après les résultats obtenus dans une étude pré-clinique récente », indique la chercheuse. L’équipe de Marcus Alfeld, du DZIF, partenaire du consortium RHIVIERA coordonné par Asier Sáez-Cirión, a présenté un poster sur le mécanisme entre un récepteur des cellules NK et un ligand exprimé sur les cellules infectées. Pour Michaela Müller-Trutwin, « l’objectif est de mieux comprendre comment activer les cellules NK ou en jouant sur le blocage de molécules inhibitrices des cellules NK ».

Combinaisons d’approches pour réduire les réservoirs

« Ce qui ressort de la CROI, cette année, est également le passage au stade supérieur avec des essais de combinaison entre plusieurs approches permettant à la fois de contrôler la réplication du virus et de réduire les réservoirs », rapporte la chercheuse. Des combinaisons utilisant à la fois des anticorps neutralisants à large spectre (ou bNAbs), qui contrôlent la réplication du virus, avec des agents permettant de réactiver les réservoirs pourraient être utiles dans les stratégies visant une rémission. Un tel essai clinique chez l’homme a été présenté sur une combinaison d’un bNAb avec la romidepsine. Une personne se trouve en rémission depuis 3,7 ans. Il n’est pas clair s’il s’agit d’un cas isolé. Des nouvelles combinaisons testées en pré-clinique, tel que le blocage simultané de PD1 et IL-10, seront présentées au symposium dédié au réservoirs.

Des triples combinaisons sont même envisagées, avec l’apport de vaccins. « L’idée est de sélectionner grâce aux tests chez les modèles animaux les combinaisons les plus efficaces avant de passer aux essais cliniques. Il y a beaucoup de financements aux Etats-Unis pour ce type de combinaisons en ce moment », conclut Michaela Müller-Trutwin.